Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier.
Gallimard, 2014
« Le
présent et le passé se confondent, et cela semble naturel puisqu’ils ne sont
séparés que parune paroi de cellophane »
Quelques jours avant que Patrick Modiano ne devienne le nouveau lauréat du
prix Nobel de Littérature, il avait publié son dernier roman Pour que tu ne te perdes pas dans le
quartier. Ce livre constitue une pièce de plus à ajouter à l’univers
modianesque, construit petit à petit par ses œuvres précédentes. Bien qu’on ait affirmé que
Modiano écrit toujours le même livre, ce qu’il fait vraiment c’est construire
un univers littéraire formé par des personnes, des lieux, des situations qui se
répètent avec des nuances différentes.
En ce qui concerne ce dernier roman, Modiano raconte de nouveau le séjour
d’un enfant pendant un certain temps dans un village des environs de Paris, un
événement qui avait constitué l’argument du roman Remise de peine publié en 1988 et qu’on trouve aussi mentionné brièvement
en Un pedigree, le roman le plus
autobiographique de Modiano, publié en 2005. Dans ces œuvres l’auteur tourne
son regard vers le passé, mais si les faits sont à peu près les mêmes, le point
de vue change dans ce nouveau roman, parce que ce qui est évoqué maintenant par
une personne âgée ce n’est pas son enfance, mais le processus par lequel lui-même,
étant jeune, il avait récupéré les souvenirs d’une enfance qui le hantait. Trois
niveaux chronologiques organisent le récit : le point de départ c’est le moment
actuel, les premières années du XXIème siècle ; un bond en
arrière nous mène cinquante années plus tôt, à l'époque de la jeunesse du
protagoniste qui, à son tour, rappelle son enfance passée quinze années auparavant.
Par suite d’une circonstance fortuite, un appel téléphonique, l’écrivain
sexagénaire rappelle le jeune que rappelait l’enfant.
La mémoire et l’oubli, l’imprécision des souvenirs, l’abandon et la
solitude, la présence du passé dans le présent, la quête de l’identité personnelle
et des objets servant d’accrochage … toutes ces composantes de
« l’atmosphère Modiano » on peut les trouver dans ce roman, ainsi que
des notations autobiographiques. Dans le récit le présent et le passé ne
forment qu’un seul temps ; ainsi, la première scène dans laquelle le
protagoniste, un homme qui vit seul depuis longtemps, est réveillé par un coup
de téléphone, correspond avec la scène finale, qui avait eu lieu plus de
soixante ans avant, dans laquelle ce même homme, alors enfant, est réveillé par
un crissement de pneus d’une voiture qui, en partant avec la personne qui le
soigne, le laisse seul, abandonné dans une maison étrange ; c’est alors qu’
avait commencé sa véritable solitude.
Antonio Garcés Conrat, C 1